Calcias bailla légèrement, se remettant de sa nuit.
Bastien l'avait harponné juste avant qu'il n'aille se coucher pour lui appliquer son remède, et... Comme il le pensait, le "Ça va piquer un peu" était largement sous-estimé, mais au final, il ne sentait plus grand chose une fois la nuit passée, même si l'effet curatif était inexistant.
Nous étions dans l'amélioration, c'était déjà cela, et malgré une nuit plutôt perturbée, il avait réussi à bien se reposer.
Une fois arrivé dans le salon, il salua l'aubergiste et accueillit Kurtis d'un œil circonspect. Qu'avait-il trouvé pour s'écrire ainsi sur les bras ? Et surtout, les traits tirés qu'il affichait montraient clairement que s'il avait dormi ne serait-ce qu'un peu, ce n'était certainement pas une nuit tranquille.
Il écouta de manière attentive ses dires et le regarda tirer ses manches pour lire de manière précautionneuse ses écritures, comme un enfant qui récitait son texte sans l'avoir pourtant imprimé dans sa mémoire, le sourcil levé.
Servir d'appât pour le loup ? L'épéiste était clairement contre cette idée. Ou plutôt, il était contre le fait que ce soit son collègue qui serve d'appât. Sans vouloir trop s'avancer, il n'avait pas l'air d'être une personne qui pourrait distancer une bête pareille. Bon sang, lui-même n'était pas sûr de pouvoir le faire.
A part ce détail, si la situation ne s'améliorait pas, cela lui semblait être un plan qui tenait la route. Un sort capable de retenir une créature de ce calibre ? Il avouait intérieurement qu'il avait vraiment envie de voir cela.
Mais avant même d’émettre une objection concernant cette organisation, ses craintes concernant Kurtis s'avérèrent vraies, lorsqu'il chuta au sol, inconscient.
Calcias s'agenouilla à ses côtés et le mit en position assise avant de lui envoyer quelques signaux, sans obtenir de réponse. La fatigue, sans doute. Et il était impossible de savoir quand il se réveillerait, mais étant néanmoins soulagé de constater que ce n'était rien de très grave.
Le jeune homme soupira puis, avec quelques difficultés, fini par arriver à placer son compagnon sur une chaise, lui croisa les bras et lui mit la tête sur ceux-ci. S'il était hors-jeu, autant faire en sorte qu'il puisse se reposer décemment.
Cela ne l'arrangeait guère, pourtant. Avec une personne en moins, l'enquête allait s'avérer encore plus difficile. Il prit le temps tout de même de se préparer et de faire un petit-déjeuner décent avant de saluer Bastien et de sortir de l'établissement.
Le soleil était déjà levé, et ses rayons réchauffaient Calcias malgré la fraîcheur ambiante, alors qu'une brise délicate se baladait entre les chaumières qui reprenaient vie, et les habitants qui en sortaient pour leur activités, dans un calme mensonger.
Calcias sourit alors devant un tel décor. Malgré les regards méprisants et la mauvaise humeur ambiante, cela le transportait dans le passé, dans son ancien village.
Et avant qu'il ne se rende compte, il débuta sa longue marche, recherchant les points communs avec celui-ci. La nostalgie le prenait sans grand mal, tandis qu'il se remémorait ces temps anciens, visitant une image du passé.
Seulement, bien qu'il s'agisse d'un village à l'apparence ordinaire, il savait très bien que ce n'était pas le cas. Et bien qu'il prenait plaisir à parcourir les rues, il y avait bien à faire.
Sortant doucement de sa torpeur, il finit par reprendre ses esprits et rechercha l'endroit qu'il avait prévu à la base de voir, tout en se réprimandant intérieurement. Le présent était bien plus important lorsqu'il y avait des vies en jeu, et il avait déjà passé bien trop de temps à vagabonder...
L'endroit de l'attaque. Calcias resta longuement en ce lieu, tentant de voir si quelque chose avait été laissé. De la fourrure ? Aucune. Des traces de lutte ? Bien sûr, il pouvait même voir quelques traces de sang sur le sol, qui le mettaient mal à l'aise. Elles auraient facilement pu être plus larges encore...
A part ceci, rien. Il avait beau chercher, réfléchir... C'était les seuls points d'intérêt qui étaient remarquables. Ses questions se bousculèrent dans sa tête, et il ferma les yeux pour tenter de se concentrer, tout en s'appuyant principalement sur une jambe, laissant l'autre avec à peine un peu de poids pour retenir le corps.
Et alors qu'il était absorbé par ses réflexions tournant en rond, il sentit qu'on tirait son manteau vers l'arrière, ce qui le fit sursauter avant de se retourner brusquement. C'était la jeune fille de la veille qu'il avait sauvé qui semblait l'avoir interpellé ainsi.
Manifestement timide, elle était plutôt mignonne, avec sa robe à fleurs, ses longs cheveux bruns, et surtout, ses yeux d'émeraude, qui regardait le jeune homme avec une rare clarté. Calcias la fixa quelques secondes, le temps de se remettre de la surprise. Il ne s'attendait pas à ce qu'un habitant lui adresse la parole, et encore moins cette jeune fille.
- B-Bonjour. Le silence se brisa enfin lorsqu'elle prit la parole. Merci pour... la dernière fois... Je m'appelle Hélène. Votre dos va mieux ?
L'air surprit de l'épéiste se transforma vite en un sourire compatissant, une fois le choc passé. Elle se faisait du soucis pour lui ? Le sentiment était partagé. Ce n'était pas le genre de choses que des civils devaient avoir à subir.
- Bien le bonjour à vous. Moi, c'est Calcias. Je suis là pour vous aider. Ne vous inquiétez pas pour mon dos, il va beaucoup mieux. J'espère que vous, vous allez bien, après ce qu'il s'est passé ? Cela a dû être effrayant.
Hélène hocha doucement la tête avant de la garder baissée, l'air penaud, ne sachant trop quoi dire d'autre.
Cela se voyait, elle était venue vers lui simplement pour le remercier, même si ce qu'il représentait avait dû être un obstacle dans la manœuvre.
Calcias ouvrit alors sa poche avant d'en retirer une des feuilles du calepin de Signy, puis se mit à la plier soigneusement pour faire un petit moulin en papier. Il souhaitait faire ce qu'il pouvait pour la détendre un peu, et même si cela ne fonctionnait pas sur sa collègue, il était bien décidé à faire naître au moins un petit sourire sur ce visage.
Il prit le moulin entre son pouce et son index, et le tendit légèrement pour qu'elle puisse le voir, puis se mit à le faire tourner doucement grâce à un peu de magie. Et une fois qu'il eut son attention, il remonta le modèle en papier, révélant une tête émerveillée par ce simple tour de magie, pour la plus grande joie du prestidigitateur.
C'était simple, et l'instant était éphémère. Mais apporter un peu de bonheur aux gens était bien la chose qui lui faisait le plus plaisir. La demoiselle regarda longuement tourner le moulin avant qu'il ne se stoppe, et retourna dans la main de Calcias, qui lui tendit, le papier au centre.
- Vous pouvez le garder en souvenir, si vous le souhaitez.
Hélène tendit alors la sienne, et prit délicatement le moulin, puis l'examina, tout en le faisant tourner manuellement, comme pour essayer de découvrir le truc derrière ceci. Elle avait l'air intriguée.
- Vous le faites bouger sans le toucher alors que ce n'est pas vivant... Comment est-ce que vous faites ?
- Ça... C'est mon petit secret. Il sourit en faisant cette remarque, accompagnée d'un clin d’œil. Mais heureux que ça vous plaise.
- C'est joli... Plus joli que les nôtres. Mais moins utile.
- Ah, ça... On ne pourra pas reprocher aux moulins d'être inutiles en effet. Je ne suis pas d'accord cependant. Il y a une certaine richesse à la structure d'un moulin, qu'un pliage ne pourra jamais égaler. Un dessin, à la rigueur, peut-être...
La jeune fille le fixa de manière incrédule, avant de s'expliquer, le regard déviant un peu.
- Ce... Ce n'est pas de ça dont je parlais. On a aussi des choses qui ne sont pas vivantes qui bougent toutes seules. Mais je les trouve moins jolies.
Calcias resta comme gelé devant les dires d'Hélène. Il ne s'attendait certainement pas à une réponse de ce calibre. Et pour être inhabituel, ça l'était !
- Attendez, attendez... Vous avez également des objets non-vivants animés ?! Lesquels ? Où ça ? Pourquoi sont-ils comme ceci ?
- Je peux... Je peux vous montrer, si vous voulez. Répondit timidement Hélène. Le réaction de son interlocuteur l'avait prise au dépourvu, et elle avait l'air de peiner à l'expliquer.
Après un accord rapide, Calcias se mit à suivre la jeune fille jusque la périphérie du village, un peu en retrait. Les champs s'étendaient, et une vision insolite se présentait alors qu'ils se rapprochaient. Les fermiers labouraient les champs, les animaux étaient dehors... Mais ceux-ci étaient en bois.
Pourtant, ils étaient articulés, bougeaient, tiraient les charrues... Le tout comme de vraies bêtes. Calcias resta paralysé de stupeur devant un tel spectacle, et il fallu qu'il parvienne tant bien que mal à se remettre pour continuer de poser ses questions.
- Pourquoi... pourquoi avez-vous des créatures en bois pour faire ces travaux ?
- Le loup a tout mangé. Maintenant, on a ces bêtes. Notre sculpteur est doué, il appelle ça des automates. Ça ne mange pas, ça fait le travail, et c'est automatique. Ça coûte cher à remplacer car ils ne bougent que quelques semaines, mais au moins on peut continuer un peu le travail pour se nourrir. Il nous a sauvé la vie.
Le sculpteur... C'était vrai, parmi les quatre commerces, il lui semblait bien avoir remarqué une échoppe concernant les sculptures. Mais là où il aurait pensé à des jouets et des figurines, jamais il ne lui serait venu à l'esprit d'un commerce d'aussi grandes figures.
Il hésita un peu avant de répondre. Il n'avait jamais vu cela de sa vie, et s'il y avait bien quelque chose qui frappait aux yeux dans ce village à part ce maudit loup, c'était ces animaux.
- Dites-moi, Héléne... Est-ce que cela vous dérangerait si je regarde un de vos animaux de plus près ? J'aimerais voir comment ça marche.
Un rapide accord fut donné, et elle emmena son invité dans une grange, où se reposaient quelques bêtes qui n'étaient pas utilisées dans l'immédiat. Son choix se porta sur une sculpture de bœuf, d'une taille impressionnante.
Le bois était de bonne qualité, et le travail était unique en son genre. Alors que Calcias soulevait la tête de l'animal, le cou bougeait également grâce à une encoche dans le corps, et l'animal réagit en secouant légèrement celle-ci, provoquant un recul de l'observateur.
C'était... étrange. Et il y avait eu également une sensation familière, lorsqu'il l'avait bougé. Intrigué, l'épéiste se baissa et fit de même avec une patte avant, qui se remit vite en place, puis se déplaça. Plus que ça, le corps entier bougeait à présent, alors qu'il avançait un peu, avant de s'arrêter assez vite.
Ce n'est qu'en examinant le dessous du corps qu'il remarqua un trou, au niveau du ventre de la bête. Après avoir rapidement demandé si Hélène savait ce qu'il y avait dedans et avoir reçu une réponse négative, Calcias passa lentement la main dans celui-ci... Avant de la retirer aussitôt, la respiration courte.
Pendant un instant... Il n'en était pas sûr, tellement il avait été pris de court de ce qu'il avait senti. Il déglutit, avant de repasser la main. Il voulait être fixé. Et c'est en ressentant pleinement ce qui résidait à l'intérieur de l'animal qu'il se mit à trembler.
Il n'y avait aucun doute, il avait trouvé ce qui faisait bouger ces créatures. De la magie. Et il semblait qu'elle était concentrée en ce point. Une sorte de cœur de magie pure, permettant d'animer le tout.
C'était une découverte énorme. Calcias en était fasciné, il n'avait jamais entendu parler de ces applications pour la magie.
Mais aussi impressionné qu'il était, un doute le hantait également. Il lui avait bien semblé que Bastien lui avait dit qu'il n'y avait pas d'utilisateurs de magie dans le village. Cependant, l'existence même de ces automates prouvait le contraire.
- Hélène... Savez-vous par hasard si il y a des mages ici ? C'est très important. Lui demanda-t-il. Il lui fallait au moins confirmer cette information.
L'intéressée secoua alors doucement la tête.
- Mes parents ont déjà vu un mage itinérant il y a longtemps, qui faisait du feu à volonté. Mais j'en ai toujours juste entendu parler. Jamais vu, sinon.
Elle avait été incapable de dire que son tour était de la magie... Pour Calcias, cela confirmait aussi que la croyance qu'il n'y avait aucun mage dans le village n'était pas que le fait d'une seule personne.
Plus important encore, il voulait savoir pourquoi ce sculpteur n'a pas clairement précisé qu'il s'agissait de magie. Cela aurait été beaucoup plus clair, et il n'y avait aucune honte a être mage, surtout dans son cas, puisqu'il aidait les gens.
Lorsqu'ils sortirent de la grange, Calcias remarqua le ciel, et le soleil, qui commençait sa descente. Il valait mieux rentrer, et si Kurtis s'était réveillé, partager ces informations avec lui, et prévoir la sortie prochaine du fantôme.
Il prévint Hélène de son départ, avant de reprendre le chemin vers l'auberge.
- Merci pour tout. Surtout, restez bien chez vous cette fois. Ce sera dangereux.